Célina Alex Lemeunier

Célina Alex Lemeunier

R&L T1 - Chapitre 07

"Le Roi et la Licorne" est une œuvre protégée par les droits d'auteur.

Dépôt Soleau fait le 18-12-2024.

Reproduction, modification et diffusion interdites sous quelques formes que ce soit.

 


Chapitre 07

Année 1025

 

 

Le son du cor, long et lancinant, mit tous les hommes restés en arrière sur le qui-vive. Salvin se débarrassa aussitôt de ses vêtements et changea de forme. Bien que ses mains tremblaient légèrement à cause de l’émotion, il fallut moins d’une minute à Morghan pour l’équiper de sa selle. Pendant ce temps, les autres cavaliers avaient grimpé sur le dos de leur monture. Quand le cor sonna une seconde fois, le soulagement général fut palpable. Avec le cœur battant, mais l’esprit plus léger, Morghan mena sa compagnie hors de leur camp de fortune.

 

Chambray était une petite ville organisée autour de son église, et le petit château de la famille de Mathis se trouvait quelque peu excentré. Il était entouré d’une modeste forêt et de jardins, ce qui permis à la compagnie de le rejoindre sans avoir à traverser le cœur de la ville. Ainsi, elle put arriver de manière relativement discrète.

Ils furent accueillis à l’orée de la forêt par sire Gabin. Quand Morghan lui demanda comment s’était passé leur arrivée et leur infiltration, le chevalier lui lança un regard étrange et dit sur un ton sarcastique :

 

— Votre Altesse va adorer ce que j’ai à lui apprendre.

 

Il entreprit ensuite de lui raconter comment sire Gédéon avait, comme prévu, leurré sire Emile. Une fois pratiquement seul avec lui, il avait réussi à obtenir sa confession au sujet des meurtres des membres de sa famille et de sa tentative de tuer son frère. Il avait assuré à sire Gédéon que Mathis ne serait pas un problème encore très longtemps : il connaissait des hommes qui pouvaient s’occuper de lui.

 

Sire Gédéon avait demandé aux autres chevaliers qui l’accompagnaient d’arrêter sire Emile. Quand sa garde avait voulu intervenir, Mathis s’était dévoilé et avait appris à tous qu’il était officiellement nommé administrateur de Chambray ; ils pouvaient se tenir aux côtés de l’assassin de sa famille ou le soutenir, lui. Une brève escarmouche en avait résulté, mais du côté de Mathis et sire Gédéon, tout le monde s’en était tiré indemne. Du côté de leur opposant, s’il y avait eu plusieurs blessés, aucun mort n’était à déclarer.

 

— Après cela, sire Gédéon a entraîné tout le monde sur le parvis du château. Il a adoubé Mathis devant témoins, avant de lui remettre Chambray et de déclarer qu’il jugerait sire Emile une fois le représentant du roi parmi nous.

— Il a fait quoi ? s’exclama sire Edmond, les yeux écarquillés.

— Ouais, hein ? grimaça sire Gabin. Notre cher sire Gédéon s’est placé comme médiateur et comme exécuteur de la volonté du roi. Rien que ça.

 

Il toisa Morghan, avant d’ajouter :

 

— Vous n’auriez pas dû lui faire confiance. Depuis le début, il vous vole votre mission et votre compagnie. Désormais, sire Mathis a une dette envers lui plutôt qu’envers vous.

— Il suffit, sire Gabin, intervint sire Edmond. Personne n’aurait pu prévoir que sire Gédéon aurait une telle audace. Moi-même, je lui faisais confiance. Son plan était censé et, quoi qu’on puisse en dire, il a fonctionné.

 

Le cheval de sire Gabin renâcla, tandis que son cavalier commentait :

 

— C’est un chevalier de sire Acelin, lui faire confiance n’était pas très intelligent.

 

Si le regard de sire Edmond se durcit, la patience qu’exprimait son ton ne varia pas lorsqu’il répondit :

 

— Nous avons fait une erreur, oui. Ce genre de choses arrive. Néanmoins, sire Gédéon nous a permis de reprendre Chambray sans bataille et sans mort. S’il veut s’en attribuer les lauriers, qu’il les prenne. L’important est que notre mission soit accomplie.

— Et notre Altesse est d’accord avec cela ?

 

La question de sire Gabin, mi-indignée mi-railleuse, prit Morghan au dépourvu ; avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, Salvin tendit le cou et fit claquer ses dents à un cheveu du mollet du chevalier. Alors que celui-ci faisait faire un écart à sa monture en jurant, Morghan en profita pour rassembler ses esprits.

 

Lorsqu’il prit la parole, sa voix vibrait à cause de l’émotion, mais elle ne manquait pas de force.

 

— Sire Gabin, je vous prierai de vous rappeler à qui vous vous adressez. En attendant que cela vous revienne, allez donc faire un tour à la queue de la file, de manière à surveiller nos arrières.

 

Et que je ne vous ai plus dans les pattes, songea-t-il. Après un regard mauvais, sire Gabin obéit. Une fois qu’il fut suffisamment éloigné, alors qu’ils franchissaient la lisière de la forêt et que le petit château de Chambray apparaissait entre les arbres, Morghan grommela :

 

— Je devrais les provoquer en duel, tous les deux.

— Vraiment, votre Altesse ? demanda sire Edmond.

— C’est ce que mon père ferait.

 

Au moment où il prononçait ses mots et réalisait ses sentiments quant à leur sens, sa colère diminua de moitié. Après tout, il devait admettre que les actes de son père n’étaient pas toujours emprunts de bon sens.

 

Il demanda à Salvin de s’arrêter avant qu’ils ne soient entrés dans les jardins. Comment allait-il gérer cette situation ? Devait-il confronter sire Gédéon et reprendre les rênes de la mission ? Ne serait-ce pas vu comme mesquin, maintenant que la partie la plus difficile avait été accomplie ? Mais si son père apprenait qu’il avait laissé le chevalier de sire Acelin prendre l’ascendant sur lui…

 

— Si votre Altesse me permet un conseil, dit sire Edmond. Je suis sincère lorsque je dis que sire Gédéon peut bien revendiquer le succès de cette mission. Outre le fait qu’une querelle entre lui et vous serait malvenue dans un tel contexte, cela pourrait également être détourné de mille manières. Souvenez-vous que les rapports entre sire Acelin et votre père ne sont pas les meilleurs. Il serait sage de ne pas leur donner un prétexte pour afficher leur conflit au grand jour.

 

S’il confrontait sire Gédéon, sire Acelin pourrait le prendre comme une insulte. En revanche, s’il ne disait rien, le seul qui pâtirait de la situation serait lui-même. Il n’avait aucune envie de passer encore une fois pour un incapable et un imbécile, mais pourrait-il vivre avec l’idée qu’il avait préféré sa fierté à la stabilité du pays ?

Il laissa filer un soupir frustré, puis dit :

 

— Merci, sire Edmond. Allons voir ce que nous à prévu sire Gédéon.

 

- - -

 

Le procès de sire Emile eut lieu sur la place du village. Le chevalier parricide fut exposé à la vue de tous sur une estrade montée à la va-vite, sire Gédéon à ses côtés. Sire Mathis et Morghan se trouvaient quelques pas en retrait par rapport à eux. Les autres chevaliers avaient été postés au bas de l’estrade, afin de prévenir les tentatives de la foule d’atteindre le traître. Salvin, lui, attendait près de l’escabeau qui servait de marche d’accès à l’estrade.

 

Sire Gédéon déclama la liste des crimes dont était accusé sire Emile. Il prononça les noms de chacune de ses victimes, un par un, avec une lenteur délibérée, ménageant une pause dramatique entre chaque. Il fit ensuite témoigner sire Mathis, ainsi qu’une dizaine de soldats et de serviteurs. Il demanda enfin à Morghan de confirmer la parole de Landerich, qui désignait sire Mathis comme le nouvel administrateur de Chambray.

Quand sire Gédéon demanda à l’accusé s’il avait quelque chose à déclarer, celui-ci se contenta de cracher sur les planches de bois et de dire sur un ton sarcastique :

 

— Puisque notre bon roi et son cher petit prince l’ont décidé… je n’ai rien à dire.

— Sire Emile, vous êtes reconnu coupable de conspiration contre votre propre sang, coupable des morts des membres de votre famille. Vous avez entaché l’honneur du titre de chevalier qui est le vôtre. Par conséquent, vous serez exécuté.

 

Un silence profond s’abattit sur la foule. Un noble, mis à mort ? Certes, l’ampleur des crises de sire Emile le justifiait, mais c’était un évènement rare, pour ne pas dire exceptionnel, que de mettre à mort quelqu’un de la noblesse. Tous furent pendus aux lèvres de sire Gédéon, attendant qu’il précise sa sentence.

 

— Vous subirez la claie, afin de laver le nom de votre famille, avant d’être mis sur le bûcher. Celui-ci sera dressé ici même, dans deux jours.

 

Morghan resta sans voix : ce n’était pas qu’une exécution, c’était une humiliation publique ! Lorsqu’il lui jeta un coup d’œil, il vit le regard scandalisé de sire Mathis.

 

— Vous avait-il prévenu ? lui souffla le nouvel administrateur de Chambray.

— Non, sinon je m’y serais opposé, lui assura Morghan.

 

Ce n’était pas seulement sire Emile qui serait humilié, mais également sire Mathis. Gédéon pouvait prétendre laver la honte de leur famille par la claie, le résultat opposé serait obtenu : pour toujours, sire Mathis resterait le frère du meurtrier de Chambray, celui qui avait été humilié publiquement et passé au bûché.

 

Morghan ne pouvait pas laisser faire une chose pareille ; mais déjà, sire Gédéon dissipait l’assemblée. Après une inspiration, le jeune prince se porta en avant et intercepta son aîné, sire Mathis sur les talons. Alors qu’il s’apprêtait à parler, il eut l’espace d’un instant une conscience cruelle du tableau qu’ils offraient : deux gamins à peine adultes, face à un homme qui avait trois fois leur âge et dix fois leur expérience. Qu’allaient-ils bien pouvoir faire ? Ils étaient presque risibles.

 

Sire Gédéon se tourna vers lui, un air interrogateur poli sur le visage. Au même moment, sire Edmond et sire Léon se hissèrent sur l’estrade. Ils avaient l’air aussi mécontents que Morghan et Mathis ; Salvin apparut également dans son champ de vision, près de son épaule droite.

 

Ils étaient peut-être risibles, mais ils étaient plus nombreux et dans leur droit, songea Morghan. Cette pensée le rasséréna quelque peu.

 

— Sire Gédéon, allons parler en privé, dit le jeune prince, aussi fermement qu’il le put.

 

Le chevalier adopta un air neutre et répondit un « Très bien » maîtrisé. Avant que Morghan ait pu esquisser un geste, il prit les devants et ouvrit la marche vers le château. Une fois dans une pièce vide du premier étage, Morghan déclara :

 

— Vous êtes allé trop loin avec votre sentence. Sire Emile est un meurtrier, certes, mais il est aussi un chevalier et, jusqu’à récemment, l’héritier de l’administrateur de Chambray.

 

Se retrouver à réprimander l’homme qui avait tout pris en main depuis le début et qui avait assuré le succès de cette mission lui laissait une impression étrange. L’espace d’un instant, il se trouva au bord de la panique ; puis il se rappela qu’il était le prince et l’héritier de la seigneurie à laquelle appartenait Chambray. Il avait le soutien de son actuel administrateur et de ses chevaliers. Sire Gédéon, lui, était le vassal d’un seigneur d’un autre domaine.

 

— Que proposez-vous, dans ce cas ?

— Une exécution privée, sans bûcher.

— Une pendaison, pour un traître à son sang ?

 

Morghan choisit d’ignorer le ton indigné de son aîné et se tourna vers le nouvel administrateur de Chambray.

 

— Qu’en pensez-vous, sire Mathis ? Après tout, il s’agit de votre ville et de votre frère.

 

Le jeune homme blond fixa un instant sire Gédéon, droit dans les yeux. Il avait beau être pâle, la dureté de son regard en disait long sur ce qu’il pensait du chevalier de sire Acelin. Enfin, sire Mathis inclina la tête vers Morghan.

 

— Une exécution privée, rapide et sans spectacle me semble également plus appropriée, votre Altesse.

 

Sire Mathis se tourna à nouveau vers Gédéon et ajouta :

 

— Mon frère aime être au centre de l’attention. Que ses derniers instants parmi nous soient exposés à la vue de tous, qu’ils lui permettent de m’humilier à travers lui et de marquer les esprits, ce serait un trop beau cadeau à lui faire.

 

Après avoir considéré le jeune administrateur en silence à son tour, sire Gédéon sembla se détendre. Avec un petit sourire qui mit Morghan mal à l’aise, il dit :

 

— Vous avez raison, sire Mathis. Je vous prie de m’excuser ; vous aussi, votre Altesse.

— Il n’y a pas de mal, sire Gédéon, simplement quelques malentendus, répondit Mathis.

 

Comprenant qu’il ferait mieux de faire dans la diplomatie s’il ne voulait pas rendre la situation plus délicate qu’elle ne l’était déjà, Morghan renchérit :

 

— Il serait malvenu de notre part de vous tenir rigueur de votre sérieux, alors que votre aide et votre expérience ont été des éléments précieux et décisifs dans cette affaire.

 

Il fit de son mieux pour ne pas montrer à quel point ces mots lui écorchaient la langue, mais ce fut loin d’être simple. Sire Gédéon s’inclina légèrement :

 

— Je vous remercie, votre Altesse.

— Sur ce, si votre Altesse le permet, je vais prendre congé, dit sire Mathis. J’ai une exécution à planifier et une ville à réorganiser.

 

Tandis que les deux hommes hochaient la tête, l’administrateur de Chambray ajouta :

 

— N’hésitez pas à demander aux serviteurs quelles chambres vous pouvez occuper dans les dépendances du fort et où pourront loger vos hommes.

 

Alors que sire Mathis se détournait d’eux, sire Gédéon en profita pour se retirer également. Une fois resté seul en arrière avec les sires Edmond et Léon, ainsi que Salvin, Morghan souffla :

 

— Nous avons sous-estimé sire Gédéon.

— Nous avons sous-estimé l’animosité de Montbazon à l’égard de Tours, corrigea sire Edmond.

— Vous aussi, vous pensez que toute cette mise en scène avait pour but de placer quelques pions à Chambray ? demanda sire Léon.

— J’en suis sûr. Si votre Altesse n’était pas intervenue, sire Mathis aurait été pris entre sa dette envers Montbazon et son sentiment d’humiliation. Il se serait retrouvé en position de faiblesse face à sire Acelin. Votre intervention, monsieur, lui a permis de reprendre le contrôle de la situation.

— Cela risque d’irriter sire Gédéon et sire Acelin… dit Morghan.

— Il est moins dangereux d’avoir un ennemi irrité qui a compris qu’il fallait vous respecter, qu’un ennemi content de lui qui croit pouvoir faire de vous ce qui lui chante, déclara sire Edmond. Le premier fera attention et réfléchira soigneusement avant d’agir, le second n’hésitera pas à tenter de vous écraser dès qu’il le pourra.

 

Morghan n’était pas très convaincu par cette logique, mais il ne chercha pas à argumenter. Ils avaient des hommes qu’il fallait loger, ce n’était pas le moment propice aux débats philosophiques de ce genre.

 

- - -

 

Morghan rassembla sa compagnie et, tant sur les conseils de sire Edmond que de Salvin, emmena tout le monde à la lisière de la ville. Ils dressèrent leur camp dans une zone inhabitée et inutilisée. De cette manière, ils ne donnaient pas l’impression d’envahir Chambray et laissaient sire Mathis reprendre l’ascendant sur sa ville.

 

Pendant qu’ils étaient occupés à monter les tentes, Morghan fut hélé par sire Gabin.

 

— Votre Altesse, pourquoi restons-nous ?

— Je veux m’assurer que l’exécution de sire Emile se déroule comme prévu, et que les gens sachent que sire Mathis a le soutient de la capitale.

— D’accord, monsieur.

 

La réponse, pourtant anodine, semblait contenir une trace d’ironie moqueuse qui agaça quelque peu Morghan. Salvin, qui l’aidait avec sa tente, lui lança un regard.

 

— Quoi ? grogna le jeune homme.

— Ne le provoque pas en duel, s’il te plaît.

— Pardon ?

— Avant que nous n’entrions à Chambray, tu as discuté de cette éventualité avec sire Edmond. Je préfère te rappeler que tu as toi-même conclu que c’était une idée stupide. J’ai vu Gabin s’entraîner, il est très bon et il ne ferait qu’une bouchée de toi.

 

Morghan, vexé, foudroya Salvin du regard. Ceci dit, il n’avait rien à opposer à la licorne ; lui-même savait que c’était la plus simple vérité. Sire Gabin le savait également et son manque de respect provenait certainement de là.

 

— Aurais-tu une idée de la manière dont je pourrais m’y prendre pour le faire taire ?

— Plusieurs, mais aucune qui conviendrait à la situation, répliqua Salvin avec un grand sourire.

 

Perplexe et méfiant, Morghan fronça les sourcils, mais son valet reprenait déjà :

 

— Ce n’est que votre première mission et il se retrouve sous les ordres d’un gamin qui n’a encore jamais fait ses preuves. Je ne dis pas que son comportement est acceptable – il ne l’est pas – mais je pense qu’il provient de son manque de confiance envers toi et de la peur que ton inexpérience, ta fierté et ta naïveté les mènent tous à la mort. Que tu t’énerves et le provoque ne fera que confirmer ses craintes.

 

Morghan se figea en entendant ses mots. Effectivement, présenté sous cet angle… N’aurait-il pas été lui-même insupportable, quelques mois plus tôt, s’il avait été placé sous les ordres de quelqu’un qu’il jugeait dangereusement incompétent ? Évidemment que si. D’une manière différente de celle de sire Gabin, certes, mais il n’aurait pas été mieux.

 

Jusqu’à ce qu’ils aient terminé d’assurer la tente aux piquets de bois plantés dans le sol, afin qu’elle ne s’envole pas au premier coup de vente, Morghan resta silencieux. Ensuite, il demanda à mi-voix :

 

— Penses-tu qu’ils croient que mon père les a mis sous mes ordres pour les punir ?

 

Salvin eut une petite grimace :

 

— Nous avons bien songé la même chose.

— Parfait, ironisa le jeune prince.

 

Mais même à ses oreilles, sa voix sonnait plus dépitée qu’énervée ou agacée. À sa grande surprise, Salvin rit doucement et déclara :

 

— Tout n’est pas perdu. Tu as le commandement de jeunes idiots comme sire Gabin, mais aussi de chevaliers honorables. Sire Edmond a déjà démontré le soutien qu’il était prêt à t’accorder. Ce n’est pas rien.

 

Morghan se contenta d’un son un peu vague en guise de réponse. Il ne savait pas trop quoi penser de tout cela, si ce n’est qu’il aurait préféré que son père ne lui donne jamais le commandement de cette compagnie. Salvin, de son côté, n’insista pas.

 

- - -

 

Le lendemain matin, un serviteur vint au camp pour inviter Morghan et ses chevaliers au banquet qui serait donné le soir-même. Le page de sire Léon et le valet du jeune prince étaient également les bienvenues. Afin qu’ils puissent être présentables, sire Mathis leur offrait l’accès aux bains réservés à la famille et aux invités de l’administrateur. De plus, s’ils trouvaient des chemises, tuniques, bas et chaussures à leur taille dans les coffres qui seraient amenés, ils pourraient se servir. Leurs vêtements seraient lavés et ramenés à leur camp par la suite.

 

— Son frère va se faire exécuter et il organise une fête ? s’étonna Morghan, après le départ du messager.

— Si votre Altesse me le permet, dit sire Edmond, cela me semble plutôt être l’œuvre d’un intendant ou d’un conseiller quelconque. Sire Mathis me semble un peu trop jeune pour jouer à un tel jeu, surtout en sachant que personne ne sera dupe.

 

Quand ils croisèrent l’administrateur de Chambray en se rendant aux bains, Morghan songea que sire Edmond avait raison. Sire Mathis avait l’air tellement exténué qu’il était impossible que l’idée d’une soirée mondaine lui ait traversé l’esprit.

 

La salle réservée aux bains était de taille plus que respectable : cinq baignoires de bois sombres, séparées par des paravents, s’alignaient dans la pièce. Celle-ci était bas de plafond et, à l’extrémité la plus éloignée de la porte, s’ouvrait une vaste cheminée. Elle était entretenue par deux serviteurs, qui étaient également chargés de remplir les baignoires d’eau chaude. Deux des cinq baignoires étaient prévues pour accueillir plusieurs personnes, certainement des couples ou bien des marchants qui souhaitaient commercer dans des lieux plus intimes.

 

La logique hiérarchique aurait voulu que Salvin et Mervin, le page de sire Léon, partagent une des baignoires. Les sires Gabin et Gabriel s’en partageraient un autre, laissant les trois derniers à Morghan, Edmond et Léon. Mais si la plupart des chevaliers et des soldats avaient l’habitude de la nudité des uns et des autres, Mervin n’avait que huit ans. En constatant la manière dont il fixait le bout de ses chaussures avec un air effaré, Salvin lui fit signe d’y aller en premier.

 

— Je me baignerai après. L’avantage d’être une licorne et de changer de forme, c’est qu’on se salit moins que les humains.

 

Il alla ensuite s’asseoir devant la cheminée, tournant ainsi le dos à toute la salle. Pendant que Mervin, soulagé, rejoignait la baignoire et se cachait derrière un paravent pour se préparer à prendre son bain, sire Gabin lança :

 

— Pour dire une bêtise pareille, la licorne ne s’est pas sentie.

— Effectivement, mais c’est difficile de se sentir lorsque ta propre odeur masque tout le reste, Gabin, répliqua Salvin du tac-au-tac.

 

Il y eut un petit bruit d’éclaboussure et un juron échappa à sire Edmond.

 

— Merci, Salvin, râla le chevalier. À cause de vous, j’ai fait tomber mon savon.

— Avez-vous besoin d’aide pour le retrouver, sire Edmond ?

— Cela dépend. Comptez-vous être celui qui expliquera à ma promise comment je me suis retrouvé à partager le bain d’une licorne ?

— Quelque chose me suggère qu’il vaut mieux que je réponde « non ».

 

Cela fit rire tout le monde. Même Gabin sembla oublier l’indignation qu’avait réveillé la pique de Salvin.

 

- - -

 

Pendant qu’ils se lavaient, d’autres serviteurs apportèrent des malles qui, comme promis, contenaient divers habits. Mervin fut le premier à se servir, avant de laisser sa place à Salvin. Par la suite, ce furent Gabin et Gabriel qui se permirent de changer leur chemise et leurs bas. Sire Gabriel changea également de tunique, mais sire Gabin garda la sienne, brodée aux armoiries de sa famille. La question du choix de la tunique de sire Gabriel finit par tirer les autres hommes hors de leur bain qui refroidissait.

 

Si Morghan, qui avait l’habitude de ses appartements et de sa baignoire privée, avait été quelque peu mal à l’aise au début. Le fait que chacun porte plus d’intérêt aux vêtements qu’à la nudité des uns et des autres finit par le rassurer. Les chevaliers avaient déjà vu d’autres hommes nus et ils étaient tous adultes. Aucun n’allait faire de commentaire sur le physique des autres. D’ailleurs, alors que chacun demandait l’avis des autres sur les vêtements qu’il s’était choisi, la question du corps ne revint pas une seule fois. C’était intéressant de constater que, malgré l’absence de pudeur de la scène, chacun prenait soin de respecter le corps de l’autre, de le voir sans pour autant le scruter.

 

Dans la même logique, personne ne fit de réflexion en constatant le malaise de Mervin. Le garçon fut laissé tranquille et aucun des chevaliers ne tenta de le forcer à participer à cette consultation vestimentaire improvisée.

 

Enfin, tout leur petit groupe fut prêt. Il ne s’était pas écoulé plus d’une heure et demie entre leur entrée et leur sortie des bains, aussi il leur restait encore pas mal de temps avant de devoir rejoindre sire Mathis.

 

— Si votre Altesse me permet une suggestion, dit sire Edmond, je serais curieux de savoir où sire Gédéon et sa compagnie ont passé la nuit.

— Je pourrais aller me renseigner, proposa Salvin.

 

En constatant la vague de surprise et d’hésitation qui parcourut le groupe, la licorne ajouta d’un air un peu vexé :

 

— Je sais être discret, vous savez.

— Je me demandais surtout si la discrétion était nécessaire, dit le jeune prince. S’enquérir de l’endroit où une autre compagnie a passé la nuit n’est pas si étrange… si ?

— Nous parlons d’un chevalier de sire Acelin, qui a déjà tenté de vous doubler, fit sire Gabin, sarcastique. S’il est paranoïaque, il pourrait croire que vous comptez le faire assassiner.

— Vos conclusions partent peut-être un peu trop loin, sire Gabin, intervint sire Léon. Cela dit, votre Altesse, après hier, la discrétion ne peut pas faire de mal.

 

Morghan soupira :

 

— Très bien. Vas-y, ajouta-t-il ensuite pour Salvin.

 

Les yeux noirs de la licorne pétillèrent, avant qu’elle ne s’incline de manière comique et fasse demi-tour pour retourner aux bains.

 

— Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? s’exclama sire Gabin.

— Vous savez quoi, messieurs ? fit Gabriel. Je crois que je n’ai aucune envie de le savoir. Peut-on envisager de visiter Chambray et de partir d’ici avant que la licorne ne mette son plan à exécution ?

 

Sa répartie fit rire le reste du groupe, mais le fond de sérieux qu’elle recelait les fit néanmoins quitter les lieux assez rapidement.

 

- - -

 

Salvin prétexta qu’il avait été envoyé pour veiller à ce que les vêtements du prince soient convenablement lavés. L’un des deux serviteurs lui apprit que tous les habits avaient déjà été envoyés au lavoir. Après s’être fait expliquer le chemin, Salvin remercia l’homme et fit mine d’être très pressé de passer par la porte de service et de remettre la main sur les vêtements de son maître. Voilà qui allait arranger la réputation de Morghan, songea-t-il avec un brin d’ironie.

 

Le lavoir était à presque une heure de marche du fort, près du lac de Chambray. La route était assez fréquentée, comme elle passait par le cœur du village, et Salvin eut maintes conversations à épier. Comme il s’y attendait, les gens commentaient peu les récents évènements en public et les quelques rumeurs que son oreille attrapa étaient déjà déformées.

 

Arrivé au lavoir, qui se trouvait en amont du lac, au bord d’un cours d’eau qui avait été creusé, à l’origine, pour irriguer les champs, il dût encore trouver le moyen de se faire accepter des lavandières. Les blanchisseuses les plus sérieuses et les laveuses les plus assidues n’appréciaient guère la présence des hommes. Ils les empêchaient de pouvoir parler librement et, de manière générale, rares étaient ceux qui entendaient quoi que ce soit à l’art de laver le linge et pouvaient se rendre utiles.

 

Salvin argua qu’il n’était pas là en tant qu’homme, mais en tant que valet du prince et qu’il était simplement censé s’assurer qu’aucun vêtement n’était perdu – non pas qu’il les croyait capables de perdre un seul vêtement placé sous leur charge, mais les ordres étaient les ordres. Pour le reste, il ne comptait pas les embêter et lui-même adorait les ragots.

 

Au bout d’une heure, il avait recueilli assez d’informations compromettantes pour faire chanter un tiers de la garde de Chambray. Il avait également beaucoup fait rire les femmes en marchant dans le jeu de flirt de la doyenne. Puis, enfin, une des femmes se plaignit qu’elle allait devoir faire un long détour pour rentrer chez elle, car le chemin qu’elle empruntait d’habitude, qui traversait la forêt de Chambray, s’était soudainement retrouvé envahit de tentes et de soldats.

 

— Ce sont les hommes du prince ? demanda l’une d’elle.

— Non, madame, répondit Salvin. Nous sommes mieux élevés que cela. Notre compagnie s’est installée là où elle ne gênera personne.

— Ce sont des gens de Montbazon, intervint une autre femme. J’ai reconnu leur bannière.

— Leur commandant a fait mettre une bannière ? s’étonna la licorne.

— Oui, à l’entrée de leur camp !

— Quel manque de politesse… dit Salvin.

— N’est-ce pas !

— À croire qu’ils viennent nous envahir, renchérit une autre femme. Enfin, au moins, ce gars et ses gens n’ont pas voulu nous confier leurs vêtements ! Ça nous fait gagner du temps.

 

Tout en discutant, Salvin les aida à essorer, battre et étendre le linge sur les séchoirs. Une fois la dernière tunique et le dernier draps mis en place, la plus âgée des lavandières lui dit à voix basse :

 

— Dis-moi, jeune homme, si tu es le valet du prince, es-tu également sa licorne ?

 

Le « jeune homme » fit un peu sourire Salvin, qui répondit sur le même ton :

 

— En effet.

— Tu n’aurais pas un petit tour de magie pour nous aider ?

 

Si le sourire de Salvin s’agrandit, son regard se fit plus méfiant. Ses sens lui confirmaient que la femme était humaine, mais si sa rencontre avec Morghan lui avait appris une chose, c’est que les apparences pouvaient être trompeuses. Le garçon avait l’air humain, mais il percevait la magie et sa propre mère ne l’était pas complètement. Son interlocutrice aurait pu être du même genre.

 

— Que gagnerai-je en échange ?

— Ce que tu es venu chercher et que je ne doute pas que tu aies déjà obtenu.

 

Cette femme aurait pu être une fée, songea-t-il.

 

— Je ne suis pas encore certain d’avoir obtenu exactement ce que je souhaitais, mais effectivement, vous m’avez beaucoup donné. Voici en retour.

 

Il faisait beau, aujourd’hui, même si le vent rendait la température presque fraîche. Le soleil brillait et chauffait l’air dès qu’il cessait de bouger. Au vu de toutes ces conditions, utiliser la magie pour sécher le linge plus rapidement ne fut pas difficile. Le faire avec suffisamment de délicatesse pour ne pas abîmer les tissus serait un peu plus complexe ; heureusement, la nécessité de discrétion aida beaucoup Salvin.

 

Par la suite, le valet proposa de ramener lui-même les vêtements de son groupe et n’échappa que de justesse à un plongeon forcé dans le lac. Les lavandières n’allaient pas laisser un homme s’occuper de terminer leur travail, non mais ! Et, comme elles n’avaient pas réussi à l’attraper pour le mettre à l’eau, il fut chargé d’aider à pousser la charrette jusqu’au fort en guise d’acte de pénitence.

 

Sur l’initiative de la doyenne, les lavandières prirent un chemin différent de celui de l’aller pour rentrer. Quand il aperçut les tentes et la bannière de Montbazon entre les arbres de la forêt de Chambray, Salvin adressa un regard entendu à la femme. Elle lui répondit par un haussement de sourcils innocent. Au vu de la manière dont les roues du chariot suivaient sans mal les ornières laissées par maints et maints passages, ce n’était peut-être qu’une coïncidence… Peut-être que les lavandières passaient effectivement régulièrement par ce chemin pour rentrer.

 

Salvin n’y croyait pas vraiment.

 

- - -

 

Le soleil avait amorcé sa descente dans le ciel. Il ne se coucherait pas avant une heure ou deux, mais Morghan était un peu inquiet de ne pas voir Salvin revenir. Ses chevaliers et lui attendaient la licorne dans la grande cour du fort, à l’entrée des jardins. À moins qu’elle ne décide de revenir par l’arrière de la bâtisse, ils ne pourraient pas manquer son retour.

 

Ils faillirent pourtant, car aucun d’eux ne s’attendait à voir Salvin pousser une charrette de linge au milieu de lavandières qui caquetaient et jacassaient. Ce fut Mervin qui attira leur attention sur la scène improbable, les autres n’ayant accordé aucun regard à ce petit groupe.

 

— Je suis à la fois stupéfait et absolument pas surpris, commenta sire Léon.

— C’est une licorne, vous vous attendiez à quoi ? grommela sire Gabin. Evidémment qu’il allait être distrait par les premières jolies femmes qui lui passeraient sous le nez.

— Quelque chose me dit, déclara sire Edmond, qu’il n’a pas été distrait du tout. Réussir à amadouer les lavandières est un coup de génie.

— Je n’y aurais même pas songé, avoua sire Léon.

— Aucun de nous n’y aurait songé, renchérit sire Gabriel. Elles protègent leur lavoir des hommes aussi férocement que des louves, leur repaire.

— Vous lui accordez beaucoup trop de crédit, grogna sire Gabin. De toute manière, nous avons déjà trouvé où se cache sire Gédéon.

 

Les gens de Chambray commentaient sans trop de mal le choix de placement apparemment très peu pratique de la compagnie de Montbazon. Si elle était proche de l’eau et de la ville, elle gênait le passage des villageois qui voulaient avoir accès au lac.

 

— Certes, fit la voix de Salvin près d’eux, mais je parie que vous n’avez pas la moitié des informations que je détiens.

 

Les petits sursauts des chevaliers tirèrent un sourire satisfait à la licorne.

 

— Vous voyez que je peux être discret.

 

Il reprit un air plus sérieux et ajouta :

 

— Allons ailleurs, que je vous raconte tout ça.

 

Sur son insistance, ils rentrèrent au camp. Une fois installé, Salvin leur rapporta l’histoire de la bannière, puis ajouta :

 

— Il n’y avait que cinq chevaux dans leur camp. La moitié de leurs cavaliers a disparu. Je ne veux pas m’avancer, mais je pense que sire Acelin va être soigneusement tenu au courant des évolutions de la situation.

— Cinq cavaliers, c’est trois de trop pour un seul message, commenta sire Edmond. D’autres personnes auront été contactées.

— Pensez-vous que sire Mathis soit en danger ? demanda Morghan.

 

Salvin intervint :

 

— C’est plutôt toi qui devrais t’inquiéter des agissements du chevalier de sire Acelin.

 

L’attaque du convoi, qui avait eu lieu quelque temps plus tôt, revint en mémoire du jeune prince et il ne réussit pas à soutenir le regard de son valet. Ce dernier eut un bref froncement de sourcils, mais déjà, Morghan reprenait :

 

— Je ne vais pas me cacher parce que sire Gédéon a envoyé des cavaliers au loin.

— Je ne t’ai pas dit de te cacher, déclara doucement Salvin, mais d’ouvrir l’œil.

— Nous allons tous devoir ouvrir l’œil, fit sire Léon. Je pense qu’aucun d’entre nous ne souhaite être transformé en hérisson par quelques flèches, juste à cause d’une querelle entre le roi et un de ses seigneurs.

— Vous croyez que Landerich essaie de se débarrasser de nous ? demanda soudainement sire Gabin.

 

Toutes les têtes se tournèrent vers lui et il y eut un blanc dans la conversation. Après avoir soutenu leur regard, le chevalier lança :

 

— Oh ! Ne me regardez pas comme ça ! Je suis certain que même notre prince s’est demandé pourquoi il était puni, lorsqu’il a vu qui il allait devoir commander.

 

C’était la plus pure vérité et Morghan ne trouva rien à répondre. Il savait qu’il aurait dû défendre son père, mais comment ? Maintenant que sa naïveté l’aveuglait moins, il se rendait compte que les actes du roi n’avaient pas de sens. Lui faire commander une compagnie d’hommes plus expérimentés alors que lui-même n’avait jamais participé à une vraie mission était aussi logique que de lancer un chiot dans la Loire en pleine crue pour lui apprendre à nager. Même s’il attrapait un débris et se laissait flotter jusqu’à la rive, il n’allait pas en tirer beaucoup d’enseignement.

 

Son silence donna raison à la répartie de sire Gabin. Les autres chevaliers semblèrent se détendre en comprenant qu’ils partageaient tous la même pensée. Finalement, sire Gabriel déclara :

 

— En vérité, je ne pense pas. Il ne pouvait pas prévoir que sire Mathis irait chercher…

 

Le jeune chevalier réalisa ce qu’il s’apprêtait à dire et ne termina pas sa phrase. Landerich avait envoyé cinquante hommes reprendre un fort qui en comptait une centaine. L’arrivée de sire Gédéon et ses manières leur avaient fait oublier cela, mais la vérité demeurait : ils étaient désavantagés depuis le début.

 

— Je serais curieux de savoir ce que chacun de nous à fait pour mériter un tel sort, dit pensivement sire Gabin.

— Vous êtes insupportable, répliqua sire Gabriel, du tac-au-tac en haussant un sourcil. Aucun chevalier expérimenté ne veut de vous. Vous ne respectez que le père de votre amie, sire Edmond et moi.

— C’est bon, j’ai compris, grommela Gabin. Et vous, alors ?

 

Sire Gabriel se racla la gorge.

 

— Mon frère s’est mis à dos le seigneur Bernard d’Azay.

— Le chancelier ? s’exclama Morghan.

— Lui-même.

— J’avais oublié cette histoire, dit sire Gabin.

— Est-ce malvenu de vous demander des détails sur la situation ? demanda sire Léon.

 

Gabriel secoua la tête :

 

— C’est une dispute stupide. Le seigneur Bernard investit dans l’entretien de ses routes uniquement en direction de la capitale. Or, il y a un certain flux de voyageurs entre Chinon et Azay, mais le chancelier refuse de s’occuper de la partie qui lui revient. Mon frère n’est pas du genre patient et a imposé une taxe sur les poires et les pommes qui viennent d’Azay en guise de compensation. Cela a poussé le chancelier à interdire à ses marchants d’exporter à Chinon et Saint-Benoît. Depuis, ils se regardent en chiens de faïences.

— Votre frère a confronté le chancelier, d’accord, fit sire Gabin. Et vous, sire Léon ?

— J’imagine que c’est également la faute de ma famille, soupira le chevalier. Mon père et mon frère se sont opposés au plan de Landerich qui visait à raser la totalité de la forêt de Gâtine sur nos terres. Il souhaitait vendre le bois, mais si nous faisons ça, nos gens n’auront plus de possibilité de chasser.

— Sire Edmond ?

 

L’aîné des chevaliers eut un petit sourire amer.

 

— Le roi sait que je ne l’aime pas. Je n’en suis pas au même point que sire Acelin, mais je reste un seigneur important malgré tout et, pour l’instant, je n’ai aucune descendance. Si je mourrai maintenant, il serait libre de nommer qui il souhaite seigneur des Ormes.

 

Un petit silence suivit sa déclaration et Morghan eut droit à plusieurs regards lancés à la dérobée. Il finit par soupirer :

 

— Je n’ai aucune idée de ce que j’ai bien pu faire pour que mon père prenne une telle décision. Je suis son seul hériter et je n’ai jamais désobéi à un seul de ses ordres.

— Faut-il vraiment une raison pour qu’un fou décide d’éliminer ceux qu’il perçoit comme une menace ? dit doucement Salvin.

 

Les autres hommes détournèrent rapidement les yeux, comme si les mots de la licorne avaient un sens qu’ils préféraient ne pas être obligés de reconnaître. Avant que Morghan ait pu lui demander ce que Salvin entendait par là, sire Edmond secoua la tête et dit :

 

— Il va nous falloir remettre cette joyeuse discussion à plus tard, si nous voulons arriver dans les temps au banquet.

 

Ils soupirèrent de concert, avant de se lever et de prendre le chemin du fort.

 


 

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04/04/2025
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