R&L T1 - Chapitre 03
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Dépôt Soleau fait le 18-12-2024.
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Chapitre 03
Année 1025
Morghan descendit de selle et renvoya le personnel qu’avait ramené son père pour sa séance de « dressage » ratée. Pendant qu’il déharnachait Salvin, avec des gestes délibérément lents, il réfléchit à ce dont il venait d’être témoin.
Quand la licorne avait laissé libre-court à sa magie, c’était la première fois qu’elle se déchaînait ainsi devant lui et il en avait eu le souffle coupé. Comme lorsqu’il se rendait dans les églises, il avait eu le sentiment qu’une puissance planait autour de lui, attentive et pourtant lointaine, hors de sa capacité de compréhension. Ça avait été un spectacle beau et terrible à la fois, comme si cet éclat de magie avait soulevé le pan d’un voile qui masquait un aspect du monde censé demeurer invisible aux simples humains. Pourtant, il lui avait laissé un éclat de familiarité étrange et douloureux au fond du cœur.
Toutes ces émotions l’avaient bouleversé. En l’espace de quelques battements de cœur, elles l’avaient poussé par-delà ses perceptions habituelles et il avait subitement eu l’impression de poser les yeux sur le monde pour la première fois. Pendant que son père affrontait la licorne, il avait réalisé que celui qui s’acharnait en portant le masque de la sauvagerie et de la haine n’était pas le démon qu’on lui avait pointé du doigt ; c’était l’homme qui se disait civilisé.
À présent perturbé, Morghan ne savait pas ce qu’il était censé faire, dire ou même penser. Il avait l’impression d’avoir effleuré quelque chose de pur, alors même qu’on lui avait toujours dit que la magie était l’apanage des forces du Mal.
Pendant qu’il rangeait le matériel, il ne put s’empêcher de frissonner intérieurement. Peut-être était-il en train d’être testé par les forces supérieures et d’échouer ? Après tout, son père dressait des licornes depuis des années… Comment aurait-il pu se tromper durant tout ce temps ? Il était plus probable de penser que c’était lui, Morghan, qui se trompait.
Après tout, c’était le plus plausible…
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Salvin avait bien senti que quelque chose avait perturbé le petit prince, mais il n’arrivait pas à deviner ce que c’était. Il doutait que ce soit la violence de son père qui l’ait remué à ce point, il devait y être habitué depuis le temps ; la manière dont il s’était effacé et avait fait de son mieux pour passer inaperçu l’avait prouvé. Était-ce le fait que son père n’ait pas réussi à triompher de lui ? ou était-ce parce qu’il l’avait mis dans une position délicate en l’autorisant à monter sur son dos alors que Landerich avait toujours le derrière dans le sable ? Pourtant, le prince avait accepté son invitation sans réellement hésiter. Perplexe, la licorne attendit donc de voir comment tout cela allait se décanter.
Quand Morghan revint vers lui, il tenait un bac en bois dans lequel était rangé pêle-mêle diverses brosses.
— Ça te dérange si… ?
Le voir toujours aussi hésitant convainquit Salvin que le moment n’était pas à l’humour et il lui présenta son flanc sans le taquiner comme il aurait pu en avoir envie.
Pendant que le gamin s’occupait de son pelage souillé par la sueur et le sable, il tourna légèrement la tête pour l’observer. Ce faisant, leurs regards se croisèrent et, après un instant d’hésitation, Morghan déclara :
— Tu n’es pas un animal.
Salvin cilla doucement. Enfin, ils y arrivaient. Peut-être allait-il également savoir ce qui avait poussé le garçon à changer d’avis ?
— Tu n’es pas humain non plus. Tu es quelque chose d’autre, doué d’intelligence. Mon père dit que les licornes sont des animaux démoniaques, que votre magie est un don du Mal, mais ce que j’ai senti, lorsque tu t’es transformé…
Salvin dressa les oreilles et tourna un peu plus la tête vers lui, surprit. Morghan avait senti sa magie ? Comment ? Seules les créatures magiques ou demi-humaines pouvait détecter la magie – et encore, ce n’était pas un don que toutes possédaient. Pourtant, Salvin eut beau scruter Morghan avec des sens que ne possédaient pas les humains, il échoua à détecter la moindre influence magique chez lui. À ses yeux, le petit prince était totalement humain.
— Tu as l’air étonné, constata le jeune homme. Ce n’est pas normal que je réussisse à sentir ta magie, n’est-ce pas ?
La licorne secoua la tête et Morghan pinça les lèvres :
— Je m’en doutais. Je crois qu’il va falloir que j’aie une discussion avec ma mère.
Pourquoi sa mère lui semblait-elle une réponse aussi évidente ? Dans la mesure où Morghan ne semblait pas pressé de s’expliquer, Salvin lui bouscula le coude du museau. Après avoir rattrapé la brosse de justesse et foudroyé la licorne du regard, le garçon grogna :
— Qu’est-ce qui te prend ?
Salvin pencha la tête sur le côté et fit un mouvement de nez vers l’avant. Morghan fronça les sourcils, avant de comprendre et de dire à contrecœur :
— Quand j’étais plus jeune, la rumeur courrait çà et là que ma mère est une sorcière. Quand mon père a l’appris, il est entré dans une colère noire et je n’en ai plus jamais entendu parler. Ma mère… elle n’a jamais fait aucun commentaire à ce sujet. Elle n’a jamais eu l’air énervée ou ennuyée par ces rumeurs. Je me suis toujours demandé pourquoi. Peut-être sont-elles vraies…
Voilà qui expliquait donc pourquoi il était troublé à ce point. Le fait d’avoir senti la magie de la licorne l’avait déstabilisé, mais l’implication d’une telle capacité l’avait également perturbé. Son point de vue sur le monde tel qu’il le connaissait venait d’être complètement chamboulé.
Salvin lui aurait bien expliqué que, dans la mesure où il apparaissait humain à ses yeux et à ses sens, ses ancêtres magiques devaient remonter assez loin dans sa généalogie pour n’être qu’une anecdote, mais il ne pouvait pas parler sous cette forme et cette brosse qui lui grattait le dos était décidément très agréable. De toute manière, quoi qu’il puisse dire, ce ne serait que des suppositions. Le gamin ne serait fixé qu’après avoir parlé avec sa mère, alors autant profiter du brossage et le laisser régler ses problèmes comme un grand.
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Morghan donna un coup de pied dans un seau qui traînait, avant de lancer un coup d’œil courroucé à Salvin. Allongé dans la paille qui couvrait le sol de son abri, un bras glissé sous la tête, il venait de bâiller sans retenue.
— Tu te fiches de ce que je raconte, n’est-ce pas ?
— Ça fait bien une heure que je t’écoute te plaindre de la manière dont ta mère a refusé de te répondre. Je suis une licorne, pas un prêtre.
Morghan croisa les bras, la mine renfrognée. Le lendemain de l’altercation entre la licorne et son père, il avait réussi à s’entretenir seul à seul avec dame Solène, sa mère. Elle l’avait écouté avec patience, avant de lui dire qu’elle ne pouvait pas répondre à ses questions, qu’il vaudrait mieux pour lui qu’il cesse de s’interroger sur des sujets pareils et qu’il apprenne à écouter son père. Désemparé, il était prêt à aller s’isoler dans sa chambre quand l’envie d’en parler avec Salvin l’avait saisi. C’était une licorne, il devait bien avoir une petite idée sur la question, non ?
Eh bien non, Salvin n’avait aucune idée de ce qu’il était. Pour lui, il était bel et bien humain.
— Tu dois avoir un être magique ou un sorcier quelconque dans ton ascendance, c’est tout. De nos jours, il est commun de croiser des humains avec des petites bizarreries issues d’un lointain ancêtre magique.
— Un sorcier ?
— Pas un sorcier dans le sens religieux du terme, intervint Salvin.
Il s’assit et expliqua :
— Avant que l’Eglise ne se réapproprie ce terme, le nom de « sorcier » désignait des individus dotés de dons proches de la magie. Certains pouvaient être très puissants. Leur pouvoir était respecté et ils l’utilisaient généralement dans le but d’aider leur communauté. À un moment donné, il y a eu des désaccords entre l’Eglise naissante et les sorciers. Comme ces derniers ont refusé de se soumettre, il a été décrété qu’ils avaient voué leur âme aux démons. En vérité, les sorciers ne sont que des humains avec une sensibilité plus prononcée, qui les rend capables d’avoir une influence sur le monde.
— C’est un pouvoir réservé au Divin, intervint Morghan.
— Crois-moi, les pouvoirs des sorciers peuvent paraître impressionnants aux hommes, mais ils ne sont qu’une goutte d’eau dans les forces du monde. Si ton Dieu existe, je doute qu’il ait seulement remarqué que certaines de Ses créations ont une petite étincelle en plus. Ce serait comme dire que la poule essaie d’imiter le faucon parce qu’elle bat des ailes.
Morghan cligna des yeux, puis fronça les sourcils avant de demander :
— Les sorciers n’ont donc pas pactisé avec les démons ?
— Non, mais ne te méprends pas : une partie d’entre eux n’utilise pas ses pouvoirs pour faire le Bien. Ce n’est cependant pas lié au fait qu’ils soient des sorciers, mais plutôt au fait qu’ils sont aussi faillibles que n’importe quel humain.
Il laissa à Morghan quelques secondes pour intégrer ces nouvelles informations, puis se releva en claquant dans ses mains.
— Bon, assez palabrer. Si je dois me balader avec toi sur mon dos, il va falloir que tu apprennes à monter correctement.
L’éclat d’indignation de Morghan fusa aussitôt :
— Je monte correctement !
— Comme un cageot de choux.
La colère fit rougir les joues du prince, tandis que son regard bleu se mettait à étinceler.
— C’est faux !
— Tu as appris à monter avec un vieux cheval de promenade ? Peut-être un cheval de guerre à la retraite ?
— J’ai été jugé assez bon pour débourrer mon propre poulain !
— C’est donc là que tu as pris toutes ces mauvaises habitudes, déclara pensivement Salvin, sans s’émouvoir de la colère du garçon. Et comme tu es le prince, personne ne te dit rien.
Morghan ne savait plus s’il devait être énervé ou mortifié. Voilà que son cheval critiquait sa manière de monter, sous-entendait que tout le monde était au courant et qu’ils l’avaient tous laissé se ridiculiser. Il serra les poings, puis se figea tandis que l’étreinte glacée de l’angoisse venait lui serrer les entrailles.
C’était impossible, n’est-ce pas ? Salvin devait se moquer de lui et il avait eu tort de baisser sa garde, non ? Mais la licorne n’avait pas l’air moqueur, seulement un peu peiné pour lui. Après avoir serré les dents un instant, le temps de contrôler sa fureur et son sentiment d’humiliation, Morghan lâcha :
— Qu’est-ce qui ne va pas dans ma manière de monter ?
Salvin lui adressa un sourire compatissant, et entreprit de lui faire la liste de ses défauts. Il avait beau ne pas émettre de jugement et rester factuel dans ce qu’il relevait, cette liste allait de la manière dont il utilisait son poids à la position de ses mains et de ses épaules. À la fin de sa petite tirade, Morghan était aussi vexé qu’atterré.
— Mais pourquoi personne ne m’a jamais rien dit ? Pour mon père, passe encore, on ne monte que rarement ensemble, mais les autres ?
Salvin hésita, avant de répondre :
— Parce que tu es le fils du roi et que tu es encore un gamin. Je ne pense pas qu’ils te respectent réellement. S’ils peuvent te ridiculiser, ils ne vont pas se gêner.
— Mais pourquoi ? s’écria Morghan. Que leur ai-je fait pour mériter cela ?
Salvin caressa l’idée de lui signaler son arrogance, mais il doutait qu’une critique gratuite soit réellement constructive dans ce contexte. À la place, il réfléchit un instant, avant de déclarer :
— Je pense que c’est plutôt ce que tu n’as pas fait, le problème : tes preuves. La cour te voit encore comme un enfant.
Après une grimace un peu désolée, il ajouta :
— Pour être honnête, ils n’ont pas tort. Tu as l’air d’un enfant.
— J’ai seize ans, je te signale !
— J’ai une cinquantaine de fois ton âge, répondit tranquillement Salvin. À peu près. Ça fait des décennies que je ne compte plus. Tu es un enfant et tu le resteras encore quelque temps à mes yeux. Tu t’entraînes à l’épée ?
— Évidemment, et je te ferai savoir que j’ai le titre de chevalier. Je fais partie des meilleurs.
Devant l’air entre perplexe et désolé de Salvin, le visage de Morghan se décomposa. Le garçon eut le sentiment que son monde était sur le point de partir en morceaux, de s’évaporer en fumée. Il souffla :
— Tu ne crois tout de même pas…
— Qu’ils jouent la comédie pour que tu te croies meilleur que ce que tu es réellement ? Si.
L’arrogance que Salvin avait songé relever refit surface, comme une dernière tentative de repousser l’évidence, et Morghan s’exclama :
— Comment pourrais-tu le savoir ?!
Salvin continua sur un ton toujours aussi calme :
— Tu as tenté de grimper sur mon dos, ces dernières semaines. J’ai vu comment tu bouges. Tu es rapide et tu as une bonne capacité d’anticipation quand tu prends le temps de te concentrer, mais ton sens du rythme est presque inexistant et tu manques vraiment d’agilité.
— Mon père ne laisserait pas une telle chose passer !
Mais sa voix manquait de vigueur par rapport à ses protestations précédentes. Le doute y pointait et son regard reflétait sa crainte de la vérité.
— Surveille-t-il tes entraînements ?
Morghan croisa les bras et détourna le regard. Après un instant, il dit d’une voix sourde :
— Il le faisait lorsque j’étais enfant, mais plus depuis que quelques années.
Maintenant que Salvin le relevait, c’était effectivement étrange. À l’époque et jusqu’à présent, il s’était dit que c’était parce qu’il devait être suffisamment bon pour que ses progrès n’aient plus besoin d’être vérifiés. Avec ce brusque recul qu’il venait de prendre, il réalisait que le fait que Landerich ait subitement cessé de surveiller l’entraînement de son fils de quatorze ans n’était pas normal. Il était le seul héritier au trône, son père avait tout intérêt à ce qu’il sache se défendre en cas de besoin. Pourtant, il l’avait abandonné au maître d’arme du château comme s’il n’était qu’un fantassin de plus dans son armée.
— Bon, intervint Salvin, tu vas déjà apprendre à tenir sur mon dos, on verra l’escrime plus tard.
— Parce que tu sais utiliser une épée ?
— Certainement mieux que toi et sûrement de manière beaucoup plus élégante que n’importe lequel des chevaliers de ton père.
Encore ce ton suffisant… Avec la longévité accrue venait manifestement un ego démesuré, songea Morghan. Ceci dit, jusqu’à maintenant Salvin avait toujours prouvé être un adversaire redoutable. Qu’il soit également bon à l’épée n’aurait pas été totalement surprenant.
— Tu vas chercher cette selle ?
— C’est censé être à moi de te donner des ordres !
— Dans tes rêves, petit prince.
Avant de quitter l’abri, Morghan foudroya la licorne du regard, ce qui fit s’agrandir son sourire amusé.
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Les semaines passèrent, les unes après les autres. Au fil du temps, Morghan devint un bien meilleur cavalier, puis un bien meilleur escrimeur. Salvin était effectivement une fine lame, avec un style minimaliste, vif et efficace. Il se battait sans bruit, souplement, à des années lumières des grognements et des gestes souvent lourds des chevaliers. Devoir adapter sa manière de se battre pour pouvoir apprendre à Morghan les bons gestes qu’il aurait à effectuer une fois en armure ne le dérangea pas beaucoup.
L’un dans l’autre, il était expérimenté et avait un style élégant. Il considérait d’ailleurs l’escrime comme un art et c’était pour cette raison qu’il avait délaissé les autres armes.
— À moins de trouver de la poésie dans le sang et les tripes, c’est impossible d’être élégant avec une hache, un marteau ou encore une masse d’arme, avait-il déclaré une fois. C’est le genre d’armes parfait pour les brutes qui réduisent leur adversaire en bouillit en hurlant.
Il avait ensuite esquissé un petit sourire, avant d’ajouter :
— Quand tu sais te servir de ton arme, tu n’as pas besoin que tout le voisinage soit au courant.
Confusément, Morghan avait eu l’impression qu’il ne parlait pas seulement d’escrime.
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Morghan et Salvin ne pouvant pas se cacher pour s’entraîner, ils commencèrent petit à petit à avoir du public. Au début, ce furent des enfants qui grimpaient au mur pour les observer. Par la suite, des jeunes gens vinrent profiter du spectacle et, enfin, certains soldats se joignirent à la foule. Les deux belligérants avaient beau n’utiliser que des bâtons – il était hors de question de mettre une épée, même émoussée, entre les mains de la licorne – ils attiraient tout de même les regards.
Morghan s’était d’abord senti mal à l’aise de se faire ridiculiser par son cheval ; il avait ensuite pu constater que la plupart des gens reconnaissaient que Salvin avait un niveau bien supérieur à la moyenne et que s’ils se moquaient de leur prince, ça restait bon enfant.
La première fois que Morghan réussit à toucher Salvin, il faillit sursauter en entendant des applaudissements provenant des remparts de l’enclos : un groupe de soldats en civil saluait sa touche.
L’ego du prince n’eut pas trop le temps de prendre en volume : il s’écroula dans la poussière la seconde d’après.
— Il va falloir que tu travailles ta concentration, avait tranquillement déclaré Salvin, comme s’il ne venait pas de lui faire plier un genou jusqu’au sol.
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Pendant quelque temps, Morghan avait craint que son père et le maître d’armes du château ne se vexent en voyant que le prince pratiquait avec sa monture, mais dans la mesure où il continuait de se montrer aux entraînements officiels, personne n’avait rien dit. Aussi, Morghan soupçonnait que son père n’ait été mis au courant de ses activités que trop tard pour intervenir. Les gens trouvaient un certain plaisir dans le fait de le voir enchaîner les échecs face à la licorne et le bruit n’avait pas dû remonter tout de suite aux oreilles de Landerich.
Une fois le rituel de leurs entraînements du soir installé, il était plus compliqué de les arrêter, d’autant plus que la foule appréciait le divertissement. La rumeur aurait pu courir que le maître d’arme se sentait inférieur dans la maîtrise de son art face à la licorne, et personne n’aurait su tolérer que de telles histoires se mettent à circuler.
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Au fil des semaines, Morghan observa également une évolution dans la manière dont les chevaliers et les soldats le traitaient, notamment à l’entraînement. Les premiers temps, il avait été furieux de constater que Salvin avait eu raison et qu’il avait eu droit à un traitement de faveur ces six dernières années – ou à une humiliation constante, selon le point de vue adopté.
Il s’était ensuite rappelé ce que la licorne lui avait dit concernant le fait qu’il n’avait pas encore fait ses preuves. Elle avait raison : il s’était reposé sur ses maigres acquis, sans même vérifier qu’il avait effectivement le niveau qu’on lui faisait miroiter. Il s’était comporté comme un enfant trop confiant.
Alors, plutôt que de manifester son mécontentement de manière bruyante et manquant de grâce, il avait gardé le silence et entreprit de montrer aux autres hommes de quoi il était désormais capable. Au bout de trois mois passés à le voir se faire ridiculiser par un cheval, à se moquer enfin ouvertement de lui, à tenter de le déstabiliser pendait qu’il s’entraînait avec Salvin, mais aussi à découvrir en lui un adversaire de plus en plus redoutable aux entraînements, les soldats et chevaliers avaient commencé à acquérir une petite pointe de respect envers leur prince.
Ce respect se traduisait notamment par le fait qu’ils ne se retenaient plus. Morghan avait bien vue la différence : le nombre de bleus qu’il pouvait compter après ses séances d’entraînement avait drastiquement augmenté. La fatigue qu’il ressentait et les efforts qu’il devait fournir pour tenter d’atteindre le niveau des chevaliers à peine plus âgés que lui étaient également devenus nettement plus intenses.
Mais, petit à petit, il progressait.
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