Célina Alex Lemeunier

Célina Alex Lemeunier

R&L T1 - Prologue

"Le Roi et la Licorne" est une œuvre protégée par les droits d'auteur.

Dépôt Soleau fait le 18-12-2024.

Reproduction, modification et diffusion interdites sous quelques formes que ce soit.

 


Prologue

Année 1025

 

La partie de chasse durait depuis si longtemps que les hommes, qui avaient poussé de grands cris en levant leur proie, étaient désormais silencieux. Il n’y avait plus que leurs montures pour faire du bruit. Le martèlement des sabots et le grondement de leur souffle épuisé résonnaient dans la forêt. Ces sons étaient accompagnés par les cliquetis et claquements des harnachements, les craquements des branches et le bruissement des feuilles.

 

La course était effrénée et ne ralentissait pas. L’animal qu’ils pourchassaient semblait infatigable. Parmi la meute de chiens, seuls quelques individus déterminés continuaient de courir avec les chevaux ; les autres avaient abandonné depuis plusieurs minutes.

 

La battue avait débuté avant le levé du jour, mais les hommes du roi n’avaient pas réussi à coincer la bête. Landerich s’y était attendu, le gibier qu’ils pourchassaient n’était pas de ceux qui s’attrapent facilement. L’animal était rusé, vif, endurant. Il avait fallu que Landerich mène la chasse lui-même pour qu’ils arrivent à l’approcher. Le soleil arrivait alors au milieu de sa course dans le ciel. Malgré les difficultés qui ne cessaient de se dresser devant lui, le roi était confiant : il capturerait sa proie.

 

Ceux qui suivaient encore la chasse reconnurent l’endroit où ils arrivaient. Depuis que la bête avait été repérée, quelques jours plus tôt, ils étudiaient les cartes et faisaient des prévisions sur les différentes tactiques et manœuvres à effectuer pour la capturer. Ils étaient rodés, ils étaient prêts, chacun savait ce qu’il avait à faire. Morghan, le jeune fils du roi, récemment présenté comme héritier officiel, s’écarta du groupe en entraînant avec lui une partie des chasseurs. Ils comptaient profiter du terrain pour prendre l’animal à revers.

 

Le roi devait tout de même avouer que cette bête-là était particulièrement tenace. Comme certains chevaux de la troupe de chasse et une partie des chiens, elle aurait dû s’écrouler de fatigue depuis quelques minutes déjà ; pourtant, elle galopait entre les arbres avec la même agilité qu’en début de course. Mais Landerich connaissait ceux de son espèce et ne s’y trompait pas : il savait que cette redoutable endurance n’était pas éternelle. Il espérait simplement que la bête ne se briserait pas une jambe avant qu’il ne l’attrape. Il ne voulait pas d’un trophée mort ou estropié, mais d’un animal vivant et valide, qu’il serait possible de dompter et dresser.

 

Encore un moment et Landerich put enfin apercevoir de plus près l’animal qu’il pourchassait. Cela ressemblait à un cheval, ça avait un pelage d’un noir profond, qui brillait à cause de la sueur, ainsi qu’un crin était épais, ondulé, plus long que celui d’un cheval sauvage. Ceci dit, son corps était moins massif que ce que sa morphologie aurait laissé prévoir et, surtout, l’animal était doté d’une queue aussi longue que celle d’un lion, qui se terminait par un long plumeau de crins. Ses larges sabots étaient fendus comme ceux d’une chèvre et une longue corne ornait son front. Enfin, si son poil était noir, des paillettes argentées, presque blanches, constellaient son dos et ses flancs, étaient prises dans sa crinière et soulignaient ses yeux clairs. Sous la lumière de cette fin d’après-midi, l’animal fabuleux semblait être fait de soie et d’argent.

 

- - -

 

Landerich de Tours, roi de la Neustria, avait mis la main sur une licorne et il ne comptait pas la laisser s’enfuir. Cela faisait trente ans qu’il capturait les licornes qui passaient sur son territoire, il n’en avait jamais laissé échapper une seule. Il n’allait pas ternir sa réputation avec cet étalon à la robe noire, qu’il comptait garder de surcroît. Il voulait le capturer non pas pour lui, mais pour son fils et ses descendants. Jusqu’à présent, Landerich n’avait mis la main que des juments, parfois accompagnées de leurs poulains. Une fois dressées, elles se vendaient plutôt bien : les épouses des nobles les adoraient. Mais cette licorne-ci deviendrait une monture de guerre. Ce serait le cadeau qu’il offrirait à son fils, cette partie de chasse ayant été organisée pour célébrer son rang d’héritier fraîchement officialisé.

 

Les licornes étaient beaucoup plus intelligentes que les chevaux normaux, elles comprenaient très bien le langage humain, elles étaient aussi plus résistantes et endurantes grâce à leur accès à la magie. Que Landerich parvienne à capturer un étalon, le dresser et l’offrir à sa lignée ne ferait qu’ajouter au prestige dont il jouissait déjà.

 

- - -

 

Enfin, la licorne s’arrêta brutalement en pleine course : ils s’étaient suffisamment rapprochés, les premiers lassos avaient été lancés et l’un d’eux s’était pris dans sa corne. Pendant que les hommes de Landerich encerclaient l’animal, d’autres cordes furent lancées et le roi descendit de sa monture pour s’approcher de l’équidé fantastique. Bien lui en prit, car la licorne appelait déjà sa magie à elle. Le temps que Landerich couvre la distance qui les séparait, le cheval avait pris l’apparence d’un homme légèrement plus petit que la moyenne, aux épais cheveux noirs et aux yeux gris clair, presque blancs. Il était nu et manifestement épuisé. Il n’eut pas le temps de se relever que Landerich se trouvait sur lui et lui décochait un coup de poing.

 

— Reprends ta véritable forme, démon !

 

La licorne, qui avait usurpé l’apparence d’un être humain, lui lança un regard mauvais, mais le bruit de bottes heurtant le sol la convainquit d’obéir sans tergiverser. Aussitôt, de nouvelles cordes furent lancées autour de son cou et de sa corne. Comprenant qu’il ne lui servait plus à rien de lutter, elle se contenta d’un regard méprisant qu’aucun cheval n’aurait été en mesure d’imiter. Landerich remonta en selle, satisfait.

 

Malgré leur capacité à se donner une apparence humaine, les licornes étaient des animaux. Leur appétit pour les plaisirs de la chair en attestait : elles trompaient les hommes et violaient les femmes sans aucune vergogne. Les licornes étaient des animaux vicieux, à l’oreille desquels les forces du Mal murmuraient. Il était impératif que les hommes soumettent ces créatures et la noirceur qu’elles portaient. Le fait que Landerich en ait capturé et dressé sept était un exploit ; néanmoins, il savait qu’il ne pouvait se permettre de devenir trop confiant. On ne pouvait pas apprivoiser totalement un animal sauvage et les licornes étaient des êtres particulièrement fiers. Il fallait s’en méfier comme d’un loup. C’était ce qu’il disait aux seigneurs qui lui avaient acheté ses licornes précédentes. Si les femelles faisaient des dames de compagnie tout à fait agréables pour les femmes, si les poulains pouvaient devenir des esclaves bien éduqués ou des espions redoutables, il fallait toujours s’assurer de les avoir sous contrôle et ne jamais, au grand jamais, croire qu’elles vous étaient fidèles.

 

Un seigneur d’un pays voisin avait ainsi ignoré les avertissements de Landerich concernant une paire de sœurs beaucoup trop fières, qui s’étaient révélées trop obéissantes pour être dignes de confiance. Le roi avait voulu les faire abattre, mais l’homme lui en avait proposé un prix trois fois supérieur à celui auquel il se serait attendu. Il était mort quelques années plus tard, assassiné dans son sommeil, et les licornes avaient tout bonnement disparu.

 

L’étalon noir s’était vaillamment battu, mais avait su reconnaître sa défaite sans tenter de folie. Il connaissait ses limites et il serait sans doute assez sage pour s’incliner devant son maître. Cela prouvait son intelligence et ne le rendait que plus redoutable, ce qui était parfait pour un cheval de guerre. Il ferait certainement une très bonne monture pour Morghan – si le jeune prince parvenait à le dresser et ne se laissait pas abuser par ses tours de magie. Dans le cas contraire… Eh bien, Landerich pourrait peut-être faire une exception et ajouter une licorne au mur dédié à ses trophées de chasse.

 


Chapitre 01

 



18/02/2025
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